Laurence Debray : « Je viens vous redire que vous devez être fier du règne de Juan Carlos Ier »

Écrivain français, a étudié la vie du Roi Père dans une biographie et un documentaire. Maintenant, dans ‘My Fallen King’ (Débat), il analyse sa silhouette à partir de sa solitude à Abu Dhabi.

Laurence Debray dans une image d'archive
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  • Livre Les lumières et les ombres du roi Juan Carlos vues par l’écrivain français Laurence Debray
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Laurence Debray J’aurais dû être un historien admiratif des héros socialistes ou des partis de la gauche libérale. C’est ce qu’elle a dans les gènes puisqu’elle est la fille de l’anthropologue Elizabeth Burgos et de l’homme politique français Régis Debray. Mais elle a heurté les antipodes de la gauche : la monarchie. Depuis son enfance, elle étudie la figure du roi Juan Carlos, à qui elle a dédié une biographie, un documentaire et son dernier livre, mon roi déchu (Débat) où il analyse la figure de l’ancien monarque depuis son exil à Abu Dhabi. Je viens vous réitérer que vous devriez être fier du règne précédent, phrase.

La traduction espagnole de ‘My Fallen King’ commence par quelques notes, comme si elle devait se justifier auprès du lecteur espagnol.
Oui, car je comprends que le discours d’une étrangère sur ses affaires intérieures puisse déranger. Alors je demande au lecteur la tolérance envers un discours qui ne veut pas heurter mais qui existe sur les Espagnols et qu’ils ne connaissent peut-être pas. Ils doivent savoir qu’à l’extérieur on ne pense pas la même chose du Roi.
Le traitement réservé au Roi en Espagne vous a-t-il déçu ?
Ce n’est pas décevant car je ne suis pas là pour juger, j’ai été surpris. Expulser ou chasser un chef d’Etat après 39 ans de règne, avec plus de 80 ans et avec des problèmes de santé… la vérité c’est que je ne comprends pas. S’en aller ne fait pas disparaître le problème, c’est juste essayer de ne pas le voir.
Le seul reproche que j’ai pu trouver dans son livre envers Don Juan Carlos est qu’il n’a pas su comprendre le XXIe siècle.
Et aussi qu’il n’a pas forgé sa légende. Ce sont tous les deux des reproches. Je pense que je n’ai pas compris le 21e siècle et le changement générationnel. Dans les années 1980, on savait que le King avait des amants et qu’il préférait traîner avec des hommes d’affaires, mais il ne s’en souciait pas tant que ça. Aujourd’hui il est bouleversé, la société a changé et il n’a pas compris qu’elle a changé.
Tu me parles d’amants, dans le livre tu dis que connaître la vie privée du Roi ne change pas ton opinion sur lui car en France politique et amour vont de pair. Pensez-vous que Don Juan Carlos s’est trompé d’amant ?
Je pense que les amoureux doivent être discrets et pas si opportunistes. Oh Don Juan Carlos a échoué. Je ne sais pas si à cause de la vieillesse, à cause de l’amour ou à cause de tout, mais j’ai échoué. C’est comme ça mais ça alimente aussi sa vie romanesque.
En parlant de cela, j’imagine que vous êtes au courant des derniers développements judiciaires à Londres. Vous qui le connaissez, pensez-vous que le King réponde au profil d’un harceleur ?
Ça me fait rire. Le roi est le contraire d’un harceleur, bien sûr que non. Je n’ai aucune idée de ce qui s’est passé et je n’étais pas là mais je suis désolé pour toute cette situation, que voulez-vous que je vous dise.
Il dit qu’il n’a pas su forger sa légende et dans le livre il insiste sur le fait que sa figure est très éloignée du stéréotype Rey. Votre théorie correspond à l’adjectif « campechano » avec lequel ils vous définissent, pensez-vous que cela aurait pu vous nuire ?
Oui, finalement ce n’était pas un roi très monarchique dans sa façon d’être. Don Juan Carlos a su séduire toute l’Espagne et a obtenu le soutien dont il avait besoin pour la transition mais, en même temps, il n’a pas forgé sa légende. Il ne voulait pas être le grand héros et l’Espagne ne voulait pas non plus lui confier ce rôle.
Vous déclarez littéralement : « Don Juan Carlos aurait pu être une boussole politique internationale.
Oui, et il ne le voulait pas. Il a été un très bon conseiller pour désamorcer les crises internationales. Il a cette façon de comprendre et de dialoguer qui est la recette du succès, mais il n’a pas pris le chemin qu’il aurait pu prendre.
La couronne est-elle utile ?
Oui, il représente l’État et l’unité du pays. Surtout à l’extérieur, je ne sais pas si les Espagnols se rendent compte qu’un Roi compte à l’étranger.
Pensez-vous qu’en Espagne, il est difficile pour nous de pardonner ?
Je pense qu’en Espagne on confond vie privée et vie publique, avoir fait des erreurs dans sa vie personnelle ne peut pas te condamner. Au contraire, l’Espagne lui doit beaucoup. Je pense que les Espagnols ont un problème car ils empêchent le Roi d’accéder au Patrimoine National et il est un patrimoine national, européen et mondial. C’est une contradiction : en France il y a eu des morts quand la tour Eiffel a été construite, l’a-t-on enlevée ou fait-elle partie de notre patrimoine ? Le Roi fait partie de l’Histoire et ses 39 ans de règne furent des moments fabuleux pour l’Espagne.
« Je viens réitérer que vous devriez être fier du règne précédent », dit-il dans le livre.
J’ai l’impression qu’ils ont une vue trop courte et sans sens de l’histoire lorsqu’ils jugent Don Juan Carlos.
Que se passe-t-il pour qu’une Française soit en ce moment la grande défenseure de Don Juan Carlos ?
Ils aiment se critiquer. Ils sont toujours en train de construire leur propre légende noire et les Français, pourtant, on s’auto-promotionne trop. Les Espagnols depuis plusieurs siècles sont devenus une légende noire. Je pense que c’est un problème entre un peuple et son histoire, continuant à nourrir un certain esprit de guerre civile, de haine, de critique…
« L’auto-dénigrement est le sport national », déclare-t-il dans le livre
C’est juste que l’Espagne est un pays phénoménal mais je pense que les Espagnols aiment se flageller.